11.9.20

Que faudrait-il, pour changer ? Une nouvelle façon de voir le monde ? Mais n’y en a-t-il pas déjà eu des centaines, voire des milliers, dont personne ne sait plus quoi faire et qui s’entassent dans la grande remise de l’histoire des idées ? Une nouvelle façon de se voir soi-même ? Mais c’est la même chose ; il me semble qu’on se trompe quand on s’imagine que la façon de voir le monde et la façon de se voir soi-même ne sont pas solidaires, qu’elles ne sont pas les deux parties indissociables d’une seule même façon de voir en général, en particulier, comme on voudra, de sentir, de se comporter, de vivre. Et, peut-être, bute-on là sur le problème — le problème du problème, ai-je envie de dire — : les outils dont nous disposons pour résoudre le problème ne nous permettent pas de le résoudre et nous n’en avons pas d’autres, nous ne pouvons pas en inventer d’autres parce que c’est avec les outils dont nous disposons qu’il faudrait procéder — et le cercle s’ensuit. Mais pourtant, on a bien changé de façons de voir les choses au cours de l’histoire, il y a eu des révolutions (preuves qu’on peut fabriquer de nouveaux outils avec des vieux). C’est l’objection. Et oui, c’est vrai. Mais qu’ont-elles changé, ces révolutions ? Rien ou pas grand-chose, le problème ne faisant que s’intensifier, sans être résolu, avec le temps, avec le cours de l’histoire, jusqu’à apparaître sous la forme d’un danger critique : le monde est en ruines et le moi, en lambeaux. Il n’y a plus nulle part aucune unité et, en dépit de cette absence, toutes nos façons de vivre (faire, sentir, penser) présupposent des unités : nous vivons comme s’il y avait de telles unités alors qu’elles font défaut et, de surcroît, la terre continuant de tourner en leur absence, il faut au moins émettre l’hypothèse selon laquelle, peut-être, ces unités n’ont jamais eu de réalité, ne sont que des chimères que nous avons inventées pour donner un semblant de cohérence (pour nous rassurer, parvenir à dormir tranquille, demain le soleil se lèvera puisqu’il s’est levé hier) à ce qui en est dépourvu. Nous agissons comme s’il y avait un tout là même où nous ne trouvons jamais que des morceaux, mais des morceaux de rien du tout. Les géométries s’emboîtent les unes dans les autres, et nous cherchons laquelle est la vraie, sans voir que le défaut de réponse vient de ce fait que c’est la question même qui est mal posée : des géométries s’emboîtent les unes dans les autres, voilà la vérité. Alors tout se vaut ? (Une autre objection.) Pas exactement, ce serait un relativisme s’il n’y avait pas d’espoir. Mais l’espoir ne se suffit pas d’être proclamé, il faut encore tout faire pour le réaliser. Et, au lieu d’idées préconçues, partir des choses comme elles sont : des choses, pas des bouts d’un tout qui les dépasse, les englobe et les justifie. Regarde le chaos, me dis-je, comment parviendrai-je à vivre dedans ?