15.6.21

J’ai fait un rêve étrange et imbécile, cette nuit. Les protagonistes en étaient les gens avec qui je travaillais et se trouvaient au-dessus de moi dans la hiérarchie des éditions Grasset. L’histoire, en quelques mots, consistait en ceci que j’avais avancé de l’argent pour une campagne de publicité que je devais rembourser. La somme s’élevait à 19000 euros et il me restait encore 6000 euros à rembourser. On s’adressait à moi de façon très agressive, et j’avais beau me défendre en expliquant que j’avais avancé cette somme et qu’on pouvait donc être compréhensif, le remboursement allait venir, mais comme je gagne moins de 2000 euros par mois, c’est long, forcément, il me semblait que personne ne voulait rien entendre. Je voyais des dents et des mâchoires serrées en guise d’unique réponse. Je tentai de trouver du réconfort auprès de quelqu’un qui me semblait plus proche de moi, mais en vain. Tout ceci me causait une sensation si désagréable, oppressante, si pénible à supporter, que je finis par me réveiller. Ou du moins, c’est l’impression que j’eus, car le rêve semblait continuer et, dans cette seconde partie, je cherchais des solutions pour me défendre en téléchargeant sur un disque dur des données qui prouvaient que les personnes qui m’humiliaient s’étaient rendues coupables de fraudes fiscales. Mais, malgré les dangers qui me guettaient dans cette entreprise, dangers que je percevais clairement, cette tentative de chantage me semblait comme forcée, comme si je n’étais plus vraiment en train de rêver, comme si je poussais le rêve dans une direction qui n’était pas la sienne pour sortir de la position de victime dans laquelle je me trouvais dans la première partie et qui provoquait chez moi des sentiments particulièrement désagréables. Repensant à ce rêve cependant que je laçais mes chaussures pour aller courir, ce matin, je le mis en relation avec les souvenirs d’humiliation qui me reviennent à la mémoire ces derniers temps, et cette question que je me pose chaque fois que l’un de ces souvenirs me revient de savoir pourquoi ce ne sont que des souvenirs d’humiliation qui me reviennent et pas des souvenirs agréables ; je n’ai tout de même pas connu que des humiliations dans ma vie, mais aussi des événements dont je pourrais me souvenir pour y jouer le rôle du héros. Ce qui en dit long, de fait, sur mon état mental du moment. Le rêve, comme je l’ai dit, en plus d’être désagréable, d’être un cauchemar, en ce sens, donc, le rêve me parut en plus imbécile. Comment, me suis-je en effet demandé, comment puis-je rembourser une somme que j’ai moi-même avancée ? Mais s’agissait-il de la même somme ? Oui, je le crois. Dans le rêve, cela ne semblait pas impliquer contradiction, mais à l’état de veille, il m’apparut de manière manifeste qu’il y avait là une incohérence : je ne peux pas rembourser la dette à ceux-là même qui ont l’ont contractée auprès de moi. Mais la logique nocturne n’est pas la logique diurne et il ne fait aucun doute que les protagonistes du rêve n’existent pas en tant que tels, simplement en tant que versions de moi, ce qui revient à dire qu’il faut que je me rembourse la dette que j’ai contractée envers moi-même. N’est-ce pas moi qui me suis dit, le mois dernier, qu’il fallait que je me pardonne ? Est-ce le même fil qui se déroule, la même ligne que je remonte ? Mais cette interprétation est passablement abstraite. Les protagonistes incarnent des figures de l’autorité, autorité qu’à la fois j’incarne moi aussi en tant que père (j’essaie d’en faire le meilleur usage possible, c’est-à-dire que j’échoue en permanence tout en ayant conscience de cet échec et en essayant par suite de mieux faire) et dont je suis cependant dépourvu en tant qu’écrivain (mon œuvre a si peu d’échos qu’elle ne mérite probablement pas le nom d’œuvre et je cherche à accomplir quelque chose dont je me sens incapable). Est-ce sous ce rapport-là que l’échange doit se faire ? Vampirisme de ces rêves cauchemardesques qui aspirent la nuit et ruinent le monde au réveil : que ne fais-je pas pour ne pas résoudre mes problèmes et que fais-je pour ne pas les résoudre ? Et que devrais-je faire et ne plus faire ? Là-dessus, le rêve demeure muet. C’est en cela, qu’il est un cauchemar.