14.8.21

Comment faire des trous dans les jours ? Comment interrompre tout ? Comment tout faire disparaître ? Ici. C’est-à-dire, peut-être, poser cette question : comment trouver de l’absence ? Et cette question, par exemple, qui se pose, la voici : comment se fait-il que la philosophie occidentale, et par mimétisme, par automatisme tardif, la poésie occidentale, et ensuite l’Occident tout entier, bref, comment se fait-il que l’Occident tout entier ait toujours été obsédé par la présence alors que la grande pensée, la grande question pour qui pense soit précisément celle-ci : comment être seul — pour penser —, c’est-à-dire : comment s’absenter ? Comment disparaître ? Comment faire des trous dans les jours ? Comment faire de l’absence pour exister ? Personne, c’est la vérité, personne ne peut faire semblant de s’absenter, alors que tout le monde peut faire semblant d’être présent. Toutes ces questions et toutes ces réponses sont étranges, d’ailleurs, non ? Comment se fait-il qu’on puisse faire semblant d’être là alors qu’il faut disparaître, c’est-à-dire le montrer, pour ne plus être là, ne plus être du tout ? Foutre le camp. Qui a dit qu’il n’y avait pas de rapport sexuel ? On peut faire semblant de n’être pas, mais on ne peut pas faire semblant d’être. Qu’est-ce que je fais ici ? Tout à l’heure, je suis censé dire un texte, on le lira en appendice ci-dessous, et d’autres aussi, mais c’est celui-ci que j’ai écrit, pour aujourd’hui, pour le mariage de mon ami. Qu’est-ce qu’un paradoxe ? Devoir échapper à son ami pour aimer son ami. Devoir échapper à la société pour faire partie de la société. Tout autre société étant absurde, imbécile, totalitaire. Je cite :

oh mon amour
tout s’écoule
et j’admire la vanité de ces âmes
seules
en leurs froides rumeurs
partout les rues en sont pleines
et dans la nuit s’entendent cris
ou bien oublis
ou bien dénis
il y a tous ces songes vulgaires
regarde
dont on tapisse les murs
quand ils régurgitent nos raisons
d’être ou je ne sais pas
de faire semblant
peut-être
tu dis
de changer tout le temps
sans que jamais rien ne change
jamais

oh mon amour
les métamorphoses placides
dont tu gardes la mémoire
lucide
sont sans des jours qui disparaissent
et paraissent si loin déjà
la glace au matin du nouvel an
le miroir
de tes pas dans le dédale
gelé
un peu de paix pour les absents
toujours quelque chose casse
toujours quelque chose trépasse
même les rimes semblent dérisoires
telles façons de croire encore un peu
que rien n’est en jeu
marques de nos pas dans la neige
des palais d’espoir
dans le noir fondu déchaîné
que rythment les essuie-glaces
ils prêchent la rigueur
n’est-elle pas ici ma demeure ?
n’est-elle pas ici ta demeure ?

oh mon amour
je compte ces quelques doigts qui nous séparent
nombre humide en marge de quoi
je fabrique force scaphandres
pour approfondir
quelque chose que je ne comprends pas
et ne peux pas comprendre
c’est la lune
c’est un refrain
la lueur du lendemain
déjà
je fais une croix
avec le bout de tes doigts
et de celui de mes ongles
sur ta peau lisse
occidentale
je parle de la courbure de tes seins
émets l’hypothèse d’un drame
franchis l’enjambement de l’histoire
quelque part là-bas
quelque part par-dessus bord
pour tout ce qui fond
devant toi
et ne s’effondre pas
on ne dessine pas les murmures
gémit le corps fourbu
alangui sur les tapis de gloire
ce même soleil pâle brille
longtemps après que nous serons
devenus aveugles
devenus vieux
devenus sérieux

oh mon amour
s’il fallait s’assoupir encore
ne fût-ce qu’un instant
dans le lit du délire
résoudre l’équation de ton cul
et emporter la vérité au levant
je songerais au soleil pâle
qui nous échauffe
dans l’admiration de nos âmes
pures car
sans rien dedans
comme nées d’hier
et immaculées

oh contemple le vide
mon amour
c’est une idole qui s’enfuit
une métaphore qui s’épanouit
la fleur de nos péchés
remis dans l’obole de ton silence.