La page du journal d’hier était alcoolisée, la page d’aujourd’hui devrait être fatiguée. Elle l’est. Mais ce n’est pas grave. Je vois bien où est l’essentiel, et je n’en ai pas peur. Hier, écrivant, dans un coin un peu à l’écart, je me suis trouvé attablé avec les commis de cuisine qui préparaient le repas du mariage, nous avons échangé quelques mots, j’avais beau être saoul, j’avais les idées suffisamment claires pour écrire et pour parler, une chose à la fois. J’étais là sans être là, un peu comme tout le temps : nous sommes toujours en deux endroits en même temps, là où nos pieds se trouvent et là où notre tête se trouve (les pieds sur terre, la tête dans les nuages, je l’ai déjà dit à plusieurs reprises) — là où nous marchons, parlons, avons toutes les interactions que nous avons au quotidien, et là où nous pensons, là où nos pensées se trouvent, nos pensées, nos rêves, nos désirs, les petites musiques qu’on entend en sourdine, les petites paroles qu’on s’adresse à soi-même, parfois pour rire, parfois pour ne pas pleurer, parfois pour pleurer. Ensuite, avec Rome Buyce Night, c’est-à-dire quelques heures après avoir écrit mon journal, ensuite, j’ai connu un grand bonheur (je parle pour ainsi dire de l’intérieur), chantant avec ardeur le texte que j’ai noté ici hier et d’autres (dont des morceaux de ceux parus chez abrüpt dans la revue error plus un morceau de la troisième partie sur laquelle je suis en train de travailler qui dit « calanques ») et un certain sens de l’oubli de soi, grande joie d’être là, simplement là. Pure présence parlante. Le contraire de l’absence, en effet, mais l’un ne va pas sans l’autre. 45 minutes de perfection sur terre, ce qui est rare, mais pas impossible. Grande joie et puis grande émotion après coup, un peu submergé par tout ça, toute cette musique, toute cette force qu’il est possible de déployer d’un coup, dans une salve. Toute cette vie, toute cette amitié, toute cette beauté. Maintenant, je vais me taire.

Vous devez être connecté pour poster un commentaire.