Que deviennent les rêves qu’on a oubliés au réveil ? S’envolent-ils en fumée ? Reviennent-ils nous hanter ? Disparaissent-ils dans une zone plus profonde, plus enfouie de nous ? Où ? Forment-ils quelque nulle part qui nous échappe ? Quelque chose nous aura-t-il manqué dans cet oubli ? Toute notre vie diurne n’est-elle pas que l’actionnement de la nocturne, de ce pan de notre existence qui semble nous échapper pour toujours ? Mais c’est quand, toujours ? Le vent couche les branches du petit olivier sur le balcon. Derrière, ne voyant pas le bâti de béton en interminable expansion, ce sont des dégradés de bleu, des dégradés de pierre, nuages laiteux que l’air en mouvement étire et qui semblent comme une couche de peinture qu’un pinceau infini aurait apposé sur le ciel. À force de torturer mes lunettes pour qu’elles paraissent à peu près droites sur mon nez, le fait que, mardi soir, exécutant le petit scénario que Daphné me dictait de jouer les yeux fermés, ma tête ait heurté le chambranle de la porte, côté droit sur le verre qui, déjà, me semblait pencher, n’ayant rien arrangé, elles vont finir par casser. Car tel est le destin des objets. Le devenir napolitain de Marseille, sans le charme romantique de carte postale derrière lequel on a caché Naples, fait partie de ce qui me déplaît le plus dans cette ville. Qu’est-ce qui m’en a fait prendre conscience déjà ? Souviens-toi : la façon dont les conducteurs de scooter se servent de leur klaxon pour dépasser les autres véhicules, conduire en sens inverse sur la voie d’en face, comme des chauves-souris, m’étais-je dit à Naples, lorsque je m’étais aperçu que c’était ainsi que les usagers des rues régulaient le trafic abominable, chaotique, qui les encombre. Comme ce chauffeur de taxi qui coupait le moteur de son véhicule tout en roulant, et puis le remettait en marche, etc. Le détraquement de l’engin signalait que toute une vie se déroulait sous le seuil de pauvreté. Image de Marseille et des Marseillais qui ne savent se déplacer qu’en voiture individuelle. Image du passé de l’espèce humaine. D’une forme de vie arriérée. Mais je ne voulais pas dire du mal. Ce n’est pas ce que je fais. Je parle, c’est tout. Encore mon antimoi normal, ce matin. Dans un courrier adressé à Rodhlann que gmail aura effacé, je parlais de lui. Je disais à Rodhlann que la critique, à cause de mon absence de succès, contrairement à lui, contrairement à d’autres, qui en ont, du succès, que ma critique pouvait passer pour du ressentiment, mais qu’il n’en était rien, qu’elle était l’expression d’une affirmation plus grande, d’une joie plus forte qui ne se résout pas à la bêtise, ni au mensonge. Fallait-il que ce courrier s’effaçât ? Je ne sais pas. Je dirais : il faut savoir se refuser à la nécessité. Ce qui signifie tout aussi bien : il faut savoir se refuser à la contingence.

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