27.3.22

« Je ne suis pas fait pour ce monde. » Je crois que ce fut ma première pensée consciente de la journée. Ensuite, je tenais Nelly dans mes bras et je m’apprêtais à le lui dire à haute voix quand Daphné entra dans notre chambre. Tant mieux, sans doute cette interruption fut-elle la bienvenue, le dire à haute voix n’aurait probablement pas arrangé les choses. J’étais dans mon lit, il était tard, d’autant plus tard que l’heure avait changé, mais pas moi, et je n’avais pas envie de me lever, j’avais envie de rester là, sous la couette, de rester dans cette disparition où l’on croit trouver refuge durant le sommeil. La nuit durant, l’heure avait changé, mais pas moi, ai-je dit, et le monde non plus, m’aperçus-je en allumant l’écran. Tout était exactement identique à la veille, aussi désespérant que la veille. À quoi pensais-je en particulier : à la violence, à la guerre, à la mort ? Pas vraiment, non : aux gens, qui sont toujours les mêmes avec leurs idées, avec leurs goûts. Comme si les choses arrivaient par hasard, comme s’il n’y avait pas de continuité entre l’ordre de nos désirs et l’ordre du monde. Mais que faire ? Brûler tous les livres ? Casser tous les écrans ? Trancher toutes les têtes ? Pourquoi pas ? Ou alors : rien ? J’ai trop bu et trop mangé, ce week-end, contrairement à ce que j’attendais de moi. J’ai commencé par vouloir m’en vouloir et puis je me suis fait cette réflexion autrement plus intéressante, me semble-t-il, qu’il y avait chez moi deux tendances contradictoires et que ces deux tendances contradictoires ne pourraient pas se maintenir ainsi dans leur contradiction pendant encore longtemps, qu’il allait me falloir choisir entre les deux, choisir ? non : trancher. Sinon, ça ne marchera pas. Mais quoi ça ? Mais rien. Mais tout. Rien ne marchera du tout. La fin annule les efforts de la semaine non par faiblesse, comme il m’est si souvent arrivé de le croire, à tort, mais à cause de ma nature contradictoire. J’ai envie de dormir, de perdre tous les efforts, de prendre congé de tout pour trouver l’ordre dans le monde et mes désirs, qui sont un et le même.