4.4.22

Je m’endors. Et n’en ai conscience qu’au réveil, quand je ne dors plus. Dans l’intervalle, je suis léger, discret, absent, je ne perturbe, ne trouble rien, ne fais pas de bruit. De l’existence, je n’ai que l’apparence minimale, végétale. Je suis là. De l’extérieur, on me pourrait voir, mais moi, de quoi ai-je conscience ? Je n’ai pas besoin d’être quelqu’un, pas besoin d’être quelque chose, pas besoin d’être. Comment fait-il le monde, lui, pour ne pas changer ? Ce que j’en vois en projette toujours la même image, est toujours la même représentation d’une réalité qui existe à force de prétendre qu’elle est. Mais n’est qu’un fantasme monté en épingle. Quand on sort de quelque chose comme on se réveille d’un mauvais rêve, n’est-ce pas qu’il est déjà trop tard ? Pendant que je dormais, j’étais en train d’écrire, d’écrire ce que je suis en train d’écrire à présent, c’était mon rêve : je dormais et je rêvais que j’étais éveillé et que j’étais en train d’écrire que je dormais et que je rêvais et que j’étais en train d’écrire que je dormais et etcetera à l’infini. Tout est faux. Tout le monde ment. Avec ma voix faible et inaudible, je me sens comme les chevaliers errants en quête d’aventure des histoires des chevaliers de la Table ronde qu’aime Daphné : ce que l’on retient d’eux, ce sont leurs exploits alors qu’ils inventaient un art de vivre et, quand ils ne seront plus, on les tournera en ridicule pour gagner un peu d’argent. Est-ce à dire que notre vie est en vain ? Non, je ne le crois pas. Je crois que c’est exactement le contraire. On retiendra autre chose de l’époque (quel imbécile je suis : l’époque elle-même retient déjà autre chose de l’époque), mais moi, qui fais ce que je fais, avec patience, détermination et discipline, moi qui, malgré mes doigts engourdis par le virus, écris sans m’interrompre, je ne m’enferme pas dans une posture, dans une catégorie, dans une case, je ne vis pas une vie de prêt-à-porter, j’imagine ma propre forme de vie, j’invente mon art de vivre, je vis ma vie.