11.9.22

Vertus de l’anonymat. Au moins comme antidote au désir de devenir quelqu’un. L’autre jour, l’article que j’ai lu dans le journal, qui m’a vraiment mis mal à l’aise, où une journaliste faisait l’éloge d’une émission littéraire à la télévision, en fait, il n’y était question que de gens connus qui se félicitaient d’être connus et je me suis demandé comment on pouvait aimer regarder un tel spectacle (et pourquoi je perdais mon temps à lire de tels articles. Pourquoi ? Peut-être parce que je suis débile.). Que les gens connus se donnent ainsi en spectacle, c’est pour eux une question de nécessité — si tu ne passes pas à la télévision, tu cesses d’être connu et, dès lors, tu ne vaux plus rien —, mais qu’on puisse réellement regarder un tel spectacle et, qui plus est, lui trouver des qualités, cela m’est incompréhensible. Au fond, il faudrait tout publier sous couvert d’anonymat, pour se faire une idée juste de ce qui vaut quelque chose. Les noms nous aveuglent. Ils s’interposent entre le réel et nous. Nous mettent des idées dans la tête d’où nous ne pouvons plus les sortir. De format unique, uniformément blancs (pas comme “la blanche”, non, vraiment blanc), sans mention de genre, de discipline, ne portant sur la première de couverture que le titre et, sur la quatrième, un éventuel bref aperçu du contenu, en noir, imprimés dans une police unique, la même pour tous, les livres seraient disposés chacun en un exemplaire sur les tables tout aussi épurées des librairies, le prix étant indexé sur le nombre de signes contenus dans l’ouvrage par tranches de 150000 signes. Évidemment, toute promotion serait strictement interdite. Pis, elle serait mal vue, tenue pour le comble de la vulgarité. Ainsi, aurait-on la chance de lire des livres. Ainsi, pourrait-on donner de l’élan à la littérature. Ainsi, publierait-on de nouveau des livres. Ainsi, susciterait-on le réel désir d’en écrire. Cette soustraction radicale de tout ce qui tient à l’auteur, sa personnalité, son charisme, sa beauté, son influence, son importance, que sais-je ? serait à même de sortir la culture de l’état totalitaire dans lequel elle se trouve. Qui peut nier, en effet, que la célébrité est fasciste ? C’est le culte de la personnalité dans toute sa pureté, transféré qu’il est dans le domaine capitaliste de la marchandise. Est-ce que tu crois que c’est la fatigue qui me fait délirer de la sorte ? J’ai l’impression d’avoir attrapé ce qui fait tousser Daphné, couler son nez, lui donne des maux de tête. Mais je ne le saurais que demain, quand  il sera trop tard. Et puis, est-ce que je délire vraiment ?