Il y a du monde partout. Pourtant, il paraît que les Européens ne font plus assez d’enfants. Comment se fait-il alors qu’il y en ait autant, partout ? On aimerait ne voir personne, et pendant un certain temps il semble que ce soit le cas, et puis, on ouvre les yeux et c’est là, c’est l’invasion. Sauf que moi aussi, je suis un envahisseur. Comment faire ? Quand on n’aime pas les gens, on n’aime pas les gens. Ce n’est pas que je n’aime pas les gens. Mais je sais d’expérience qu’il est plus difficile d’avoir une idée, de s’en saisir et de la développer, quand on est entouré de gens que lorsqu’on est seul. Il faut aimer les perturbations, comme John Cage avait appris à les aimer, ce n’est pas moi qui dirait le contraire, mais quand on cherche à creuser, à trouver de la profondeur, être perturbé rompt l’équilibre nécessaire à la recherche. En sortant du château tout à l’heure, ainsi, je me suis dit à peu près ce qui suit. La politique est liée à l’État. Quelle que soit la forme que ce dernier prend (cité, ville, nation). L’État est le centre du pouvoir. En ce sens, « la décentralisation de l’État » est une contradiction dans les termes : tout pouvoir tend à être un centre, ce qui est en son pouvoir étant à la périphérie. La politique n’est pas la bonne administration de l’État et de ses choses publiques, c’est l’organisation plus ou moins rationnelle, plus ou moins violente de la lutte pour le pouvoir. La périphérie ne se contente pas de sa position périphérique, elle veut prendre la place occupée par le centre ou devenir elle-même un centre. La politique est lutte pour le pouvoir et cette lutte ne peut finir qu’avec la fin du pouvoir. Tant qu’il y a du pouvoir, il y a de la lutte, il y a de la politique. C’est en ce sens précis qu’il faut en finir avec la politique. La fin de la politique coïncide avec l’avènement de la démocratie, laquelle n’est pas un mode d’organisation de la lutte pour le pouvoir, mais l’abandon de l’idée même de lutte pour le pouvoir. Avènement, mais pas achèvement : contrairement aux formes du pouvoir, la démocratie n’est pas un état, mais un procès. Pas un être, un devenir. La démocratie complète coïncide avec la fin de l’État, tombé en désuétude. La démocratie, épousant l’immanence du destin, rend chacun entièrement maître de soi. L’histoire ne connaît ni au-delà ni fin. Elle ne s’épuise pas, mais embrasse le processus même de la vie, laquelle est croissance (φύσις). Qui ne verrait dans ces remarques que l’expression d’un songe utopique n’en aurait pas fini avec l’obsession du pouvoir, laquelle est destruction. Et puis, conduisant la voiture pour revenir à la maison, j’ai tâché de ne pas perdre le fil de mes idées. Ensuite, je me suis assis et j’ai écrit ce qui m’était venu debout.