Dieu existe, — je l’ai rencontré. Car, non, le problème de Dieu n’est pas, n’a jamais été son existence, et ne le sera jamais, mais notre façon d’en parler. Des millénaires de religion nous auront empêché de le nommer, de le décrire, le rejetant dans l’obscurité la plus totale ou bien la lumière la plus aveuglante. Or, nous ne sommes pas aveugles, nous n’avons pas besoin d’être aveuglés ; nous avons besoin d’y voir clair. Dieu existe, — je l’ai rencontré. Qu’est-ce en effet que Dieu, mes amours, mes amis, mes sœurs, mes frères ? Une douche chaude en hiver, voilà Dieu. Car oui, Dieu peut être un péché, qui porte une autre morale, une morale étrangère à toute morale. Les oranges de Sicile, voilà Dieu. Le corps de l’être aimé, sa personne, sa présence, voilà Dieu. « La perfection », tel est peut-être le plus beau nom de Dieu, et l’extase que l’expérience que l’on fait de la perfection nous procure. La perfection qui est partout, qui est toujours, qui est là, sans conteste, sans contexte. Qu’il vaudrait mieux parler de « perfection » plutôt que de « Dieu », cela ne ferait guère de doute si les mots ne portaient pas comme un fardeau sur leur dos l’histoire de leur symbole : Dieu comme absolu, bien suprême, amour. Dieu ou n’importe quoi. Dieu ou n’importe qui. Mais qui veut entendre parler de « perfection » quand partout s’affrontent les éloges contradictoires de l’efficacité et de la faiblesse ? Qu’est-ce que cela ? Mais rien, rien du tout, rien qu’un peu plus de néant. Alors, Dieu ou n’importe quoi, Dieu ou n’importe qui, vraiment ? Pas vraiment, non. Dieu, ce peut être ce clochard qui se pèle le cul dans le froid, mais pas la énième dinde qui publiera son roman après Noël. (Moi, je n’écris pas pour que les gens me voient, moi ; moi, j’écris pour que les gens voient.) Dieu, c’est un mot comme un autre, une façon de voir les choses, d’être quelque part à un moment donné pendant un certain temps, et de faire de certaines choses, belles, tu sais. Est-ce que Dieu n’échoue jamais ? Mais nous passons notre vie à nous tromper, pas pour le plaisir de mal faire, mais pour nous trouver là, à ce moment donné, et faire l’expérience que tout est parfait, que tout a toujours été parfait, que tout sera toujours parfait. Tu peux te faire tout le mal du monde, quand tu t’abandonnes sous l’eau chaude, tout n’est-il pas exactement où ce devrait être, tout n’est-il pas en ordre ? C’est vrai que le monde va mal et que les gens sont méchants, mais laisse-les disparaître, fais-toi oublier un instant de plus. Parce que, non, ton visage exposé à des millions de regards anonymes qui t’effaceront de leur mémoire aussitôt après ne sauvera pas le monde. Rien ne sauvera le monde. Le monde n’a pas besoin d’être sauvé. Le monde n’a pas besoin de toi. Il se trouve là, et toi aussi, un certain temps du moins. Toi non plus, tu n’a pas besoin d’être sauvé. Tu es tout ce qu’il faut, tout ce qui est nécessaire. Et tant pis si cela te semble affreusement contingent. Il n’y a rien à réclamer, tu sais, rien à revendiquer, rien à manifester, rien, rien qu’à exister.