vingt-deux avril deux mille vingt-trois

Qu’est-ce que cela fait de se regarder mourir tout en ayant conscience d’être en train de mourir ? Pas une question qu’il faudrait poser à l’autre, n’importe qui, mais à soi-même, comme ceci : Qu’est-ce que cela fait d’appartenir à une civilisation qui est en train de disparaître ? Moments de lucidité, telles des éclaircies dans une sempiternelle grisaille (ai-je déjà, mot à mot, écrit ce dernier membre de phrase ? j’ai l’impression que oui, mais est-ce vrai ? et où ? et si, ou son contraire, quelle importance ?), moments trop brefs, peut-être, mais pourraient-ils durer plus longtemps ? L’être doit continuer à avancer, c’est la loi : tu ne peux pas te laisser tomber comme une pierre qui tombe tomberait sur le bitume, effondrée la chose, blam, et puis après, qui te remarquerait ? Les événements, innombrables, toujours plus, les événements dissimulent ce que l’on pourrait apercevoir. L’écran fait écran. Tout est là, tout est visible, et pourtant, rien n’est vu, rien ne peut être vu. La banalité du paradoxe même semble le rendre impossible à voir. On n’y voit rien. Pourtant, il n’y a plus de noir. Les étoiles dans le ciel de l’univers sont éteintes par les satellites maniaques. Qui crie au fou, voilà qui est enfermé. Ne rien faire dès lors ? Sinon, quoi ? Je ne sais pas. De toute façon, me plaindre, c’est une humeur, au bout d’un moment, je me lasse. Épuisant plus encore que la colère que j’ai évoquée il y a quelques jours, le sentiment de n’être pas entendu, le sentiment que personne n’écoute. Alors que faire ? Se taire et disparaître ? {Vie de moine, 3} Au Japon, à l’époque de Muromachi, des moines pratiquaient la méditation en jouant de la flûte (shakuhachi), ils s’asseyaient sur des nattes, récitaient des hymnes de quatre vers, et mendiaient dans les villes. À l’origine, on les appelait komo-sō, « moines assis sur des nattes » ou boro-boro (« déguenillés »). Mais par la suite, komo-sō a été déformé et on les a appelés komu-sō, « moines du néant. » Vêtus un grand chapeau cylindrique de paille tressée qui leur couvrait toute la tête, portant sur la poitrine un kara (une pièce de tissu carrée accrochée au cou qui symbolise l’état religieux) et équipés d’une épée en bois, ils déambulaient dans les rues en jouant du shakuhachi. Les moines ne professaient aucune doctrine, ne se référaient à aucun sūtra, se contentant de jouer de leur flûte pour parvenir à l’éveil. D’où quelquefois, tandis que je songe à cet étrange art de vivre, cette question qui demeure en suspens : comment vivre autrement ? Hier au soir, mon shakuhachi se sera incarné dans les ondes de la Jazz Bass Fender de G.