24.4.24

Ce matin, le contenu de la lettre recommandée avec accusé de réception a révélé dans toute sa crudité l’insignifiance de mon existence : pas de convocation en vue de mon audition pour activités subversives et terrorisme intellectuel, pas d’héritage surprise me plaçant à la tête d’une fortune colossale, pas de radiation définitive du SERF, non, rien, que l’URSSAF, et cet impayé de la dette duquel je me suis déjà acquitté, avant même de savoir ce qu’il y avait dedans le courrier. Et, en y songeant à présent, je ne sais pas ce qui fut le plus décevant : que rien d’exceptionnel ne m’arrive ou que je sache déjà ce que contient la réalité avant même qu’elle n’arrive ? Est-ce pour compenser par anticipation cette nullité absolue que, avant de me rendre au bureau de poste afin de récupérer mon pli, trois semaines après y avoir travaillé pour la dernière fois, j’ai écrit un nouveau chapitre de tombe. ? Peut-être, mais pas le chapitre que j’avais prévu d’écrire, — un autre autre. Ainsi, ce texte vit-il une vie bien à lui, souterraine par moments, dirais-je, qui ressurgit quand rien ne semble me disposer à lui, mais les choses se font, et moi, j’existe. Malgré tout, oui, j’existe. Déclaration un peu imbécile, ou du moins superflue, j’en conviens, comme si on pouvait en douter. Eh bien, oui, justement, on le peut, en douter : le monde est chargé d’une infinie puissance d’effacement et, quand les o ne deviennent pas des i, mais pas tous, certains seulement, c’est mon nom tout simplement qui est rendu invisible par l’absence de sa mention. Aussi, me vois-je rejeté dans des marges toujours plus lointaines, toujours plus étroites aussi, toujours plus méprisées, surtout. N’être personne, voilà ce que ça fait. Efforts réduits à néant, qu’un revers d’une molle main balaie, désir inépuisable, pourtant, non, « désir », ce n’est pas le bon mot, infatigable détermination, peut-être, car même la dirimante question au coin de laquelle se crispe un sourire cynique ne parvient pas à lui faire obstacle : À quoi bon ? À rien, bien évidemment. Et à personne, non plus, assurément. Hier, et je n’en suis pas fier, mais je n’en suis pas pas fier, non plus, non, j’ai songé qu’il vaudrait probablement mieux mourir à quarante ans, après avoir fait un enfant vers l’âge de dix-huit ou vingt ans, l’avoir accompagné jusqu’à ce qu’il ait à son tour atteint cet âge, et puis, ensuite, passer la main. Au-delà, en effet, on ne sait pas si l’on devient trop lucide ou trop con : est-ce le monde qui est d’une bêtise infinie ou moi qui suis rassis ? Aussi, n’ai-je pas lu cet article sur l’augmentation du nombre de personnes dépassant les cent ans ; — la vie n’est-elle pas assez déprimante comme cela ? Le printemps est froid, l’été sera caniculaire, des remugles de haine empestent le fond de l’air, on passe sa vie à travailler pour payer sa maison, qui dans ces conditions pourrait bien vouloir devenir supercentenaire ? Thoreau est mort à quarante-quatre ans et, en 1854, au lieu de consacrer sa vie à la payer, avait bâti sa maison de Walden Pond pour 28,13 dollars (soit environ 1045,94 dollars de 2024, avec un taux moyen d’inflation de 2,15%). « Pas un centime de plus », — tel ne pourrait-il pas être, oui, le mot d’ordre d’une conception philosophique digne de ce nom ?