25.4.24

Une question simple à laquelle on n’a soudain plus la réponse : comme cela, plus souvent, la vie, s’il vous plaît. Devant la lumière blanche de mon écran, je ne sais pas quoi dire. Ce matin, il y avait un beau soleil dans le ciel bleu au-dessus de ma tête. À peine sorti de l’appartement, j’ai brièvement passé en revue les différentes idées que j’ai eues ces derniers temps et qui ont reçu au moins un début de développement. Je me suis dit que c’était peut-être trop et, du point de vue de l’accomplissement, un tel sentiment n’est pas complètement à côté de la réalité (à un moment, je me suis même représenté la forme que pourraient prendre dans mes œuvres complètes ces projets inachevés si je devais mourir aujourd’hui ou avant de les avoir menés à bien), mais si je ne suivais qu’un seul chemin, ne ferais-je pas fausse route ? C’est Bolaño qui disait qu’il fallait toujours écrire plusieurs histoires à la fois sinon on finissait par écrire toujours la même. Mais alors les œuvres comme celles de Saint-Simon, de Proust, de Musil radotent-elles ? Peut-être que oui. Mais ce n’est pas ce que je voulais dire. L’image de la question simple à laquelle on n’a plus la réponse, soudain, exprime une attitude face à la vie, laquelle se sent mal à l’aise avec les réponses définitives ou les épidémies intellectuelles. Par « épidémie intellectuelle », j’entends ce phénomène de contagion qui fait que, à certaines périodes de la vie sociale, tout le monde parle exactement de la même chose et que se succèdent ainsi sur le devant de la scène publique des gens qui, sous des apparences fort différentes, racontent tous exactement la même chose. Peut-être que s’ils appliquaient la méthode Bolaño, ils feraient preuve d’une plus grande originalité, mais je ne crois pas que leurs problèmes soient des problèmes d’écrivains. Ce sont des problèmes bien plus humains (et ce n’est pas forcément un compliment). Raconter la même chose que tout le monde en l’enveloppant sous une apparence différente est un bon moyen d’exister, de réussir socialement, mais c’est probablement aussi la garantie d’une disparition à l’image des réponses dont je parlais à l’instant : définitive. Et la haine de l’originalité que notre époque a développée est une réponse à cette angoisse, ou plutôt une tentative vouée à l’échec d’échapper à la question angoissante : Mais que restera-t-il de moi ? (Rien.) Au fond, c’est la certitude qui rend les gens inintéressants (et ennuyeux). Dans le regard de qui confesse ne pas savoir, voire ne rien savoir, se déroulent des événements bien plus grands que sur toutes les scènes politiques du monde, où vocifèrent les spécialistes de la manifestation, parce que tout vacille et pourrait s’effondrer, dans ces yeux-là, et c’est terrifiant, oui, mais c’est surtout sublime. Quand je m’inflige la lecture de la presse comme je l’ai fait aujourd’hui, j’ai l’impression de tomber dans un trou dont il m’était possible avant d’y plonger de soupçonner la profondeur (la profondeur de ce trou m’était connue, c’est peut-être ce qui m’a fasciné : m’abîmer) et dont, même en descendant plus bas, encore plus bas, je ne vois pas le fond, tout est clair, tout est même transparent, beaucoup trop lisible, et, pourtant, rien n’a de sens, et que ce puisse être la vie, cela, si je n’en suis pas étonné, j’en conçois tout même une tristesse certaine, grande, en fait, non pour les autres, mais pour moi, parce que je suis comme cela, parce que dans cette image du trou sans fond, je sais que je trouve le reflet de la mienne, et de ma faiblesse, de ma médiocrité et que, au lieu de travailler comme je le devrais, je me disperse, le temps s’est enfui, il m’a échappé, la journée est perdue, tout est fichu, je n’ai avancé sur rien. Où passe ma volonté ? J’aimerais le savoir — pour la libérer.