26.4.24

Cœur nomade, dit l’éthique du moment, mais cul sédentaire, je lui réponds. Quand mes vœux me porteraient ailleurs, exactement : le cul nomade et le cœur sédentaire. Dans une langue que je ne parle pas, aujourd’hui, j’ai écrit un poème. Exil étrange (quasi pas un pléonasme) qui correspond à mon sentiment, — toutes ces langues qui me précèdent et que j’ignore ou ne sais qu’à moitié, dans l’émotion de l’à peu près. J’essaie de les faire entendre, pas à une autre oreille, non, à la mienne. C’est pourquoi j’ai écrit ce poème, et pourquoi je le garde pour moi. C’est une version du chez-soi, le poème, ou une façon de se frayer un chemin vers lui. Où me guident mes pas, mon cœur le sait. C’est cela que dirait ma morale si jamais elle trouvait enfin un espace où s’exprimer. Mais existe-t-il ? Je ne le sais pas. Je cherche. Ou quelquefois pas. Je l’attends. Et souvent, les paysages que j’ai dans la tête ne sont pas ceux que parcourent mes pieds. « C’est beau, Paris », me suis-je tout à l’heure, arpentant les quais où les guinguettes n’étaient pas encore ouvertes,  et les touristes agglutinés devant le futur défilé (défilé du futur), « mais il y a trop de monde, — trop de monde et pas assez de vide. » J’aimerais mieux, je crois, une beauté plus éparse, des scènes plus pauvres, moins de monuments, et plus de nus moments. Et ainsi, je pense à des êtres que je n’ai pas connus et dont on m’a parlé à peine. Mais le vide de la scène n’est pas semblable au vide de mon histoire. Peut-être même que, sous l’apparence homonyme, des différences extrêmes se font entendre à mon oreille. Et je les écoute. Et c’est pour elles, alors, pour parvenir à les entendre avec la plus grande distinction, la plus grande articulation, c’est pour elles, alors, que j’écris. J’ai tellement rejeté mon nom, pur produit en cela que je suis d’une éducation républicaine, et tout le sens originel qu’il révèle dans son expression, qu’il m’arrive d’avoir l’impression que ce n’est pas le mien. Et, en effet, il n’est pas à moi, on me l’a donné. Et ce don, est-ce un cadeau empoisonné ? Ou, pour formuler mieux (avec plus d’amour) la question, comment faire pour qu’il ne le soit pas ? Cette relation au nom, je crois que j’en prends conscience seulement à présent, cette relation difficile, ambiguë, entièrement de proximité et de rejet, de fascination et de répugnance, d’attirance et de dégoût, est présente dès les premières pages d’Et partout c’est la guerre. La partie consciente de ma langue parlait de l’Europe et la partie inconsciente de mon nom propre à moi parce que mon destin, c’est celui de l’Europe, parce que je suis l’Europe, je suis l’histoire de l’Europe. Et je porte, chargé dans mon nom comme une balle dans un revolver, le destin de l’univers. La terre tourne autour de lui, comme le barillet autour du canon. Pan ! Pan ! — c’est le bruit que fait cet amour inconnu qui se porte à la terre où l’on n’a pas vécu.