28.12.18

XIV.

Il n’y a rien de pire que
la mauvaise poésie
est-ce que j’écris de mauvais poèmes ?
oui c’est possible oui
il n’y a rien de pire que la mauvaise poésie
sans rythme et pleine d’images transparentes et d’idées insipides
pas de sel jamais dans les mauvais poèmes
fades
est-ce que j’écris de mauvais poèmes ?
oui c’est possible en effet
ce qui fait d’un mauvais poème un mauvais poème c’est le manque de doute il ne connaît pas de trous c’est une masse lourde qui tombe assomme
oh tu as bien le droit d’écrire de mauvais poèmes
c’est la grande démocratie c’est ton droit de
faire n’importe quoi
mais
il n’y a rien de pire que
les mauvais poèmes
jamais le retour à la ligne ne ressemblera à un vers.

Écrit ce poème aujourd’hui (n° 14 du mois de décembre), poème que je tiens pour une sorte de poème militant. Ce à quoi on pourrait répondre : ce n’est pas un poème du tout, réplique probablement exacte, mais qui pointe précisément ce qui fait de mon poème qui n’en est pas un, un poème militant. Le savoir-faire est une des pires choses au monde, si l’on y pense. On imagine un artisan, on se dit que c’est son savoir-faire qui le rend excellent, on étend cette idée (quelque peu grossière) à l’ensemble des affaires humaines : il faut du savoir-faire en général, et on transforme les gens en experts ou en incultes. Ce qui est évidemment caricatural. On apprend aux gens à faire des choses, ils les font, on les récompense. Qu’y a-t-il de plus profondément débile que cela — récompenser les gens parce qu’ils ont été bien dressés ? Et pourtant, on ne fait que cela. C’est absurde, mais c’est la façon dont le monde va. Mon poème qui n’en est pas un est un poème militant parce qu’il participe d’un refus du savoir-faire, milite pour une sorte de libération du faire qui soit une invention, une libération du savoir qui le précède et auquel il se conforme parce que c’est comme ça qu’on fait. Pas savoir-faire — inventer-faire. Mon poème est encore un poème militant parce que les mauvais poèmes (les mauvais livres, les mauvais films, les mauvais disques, tout ce qu’il y a de mauvais sur terre) détruisent le monde, ils en font une chose hideuse, tirent le goût vers le bas, font passer le sens esthétique pour une chose dispensable, superflue, inutile. On me rétorquera à présent que mauvais ou pas, c’est subjectif (de gustibus blablablabla). Il n’y a de subjectivité que pour les sujets, les individus assujettis à une norme qui les précède et fait d’eux, précisément, des sujets. Des esclaves d’un goût qui n’est pas le leur. On s’imagine avoir du goût, mais on ne fait qu’ânonner une leçon bien apprise. Comme aller admirer des “œuvres d’art” à la Fondation Louis Vuitton. N’ayant pas les moyens de se payer le sac à main, on s’offre la version pour le petit peuple, le ticket d’entrée au musée. Et on invite toute la famille, histoire de bien s’assurer que les enfants aussi seront décérébrés. Alors que c’est criminel, en réalité, criminel, d’acheter son petit billet, de renforcer fortune et prestige social de l’autre, de celui à qui tout oppose, en imaginant se cultiver. Se cultiver. Kev Adams à la Philharmonie. Et moi de me dire que, de toute façon, tout ce que je fais, c’est parler dans le vide, prêcher comme un imbécile dans le désert, de toute façon, toute pensée critique m’exclut de fait, me rejette dans le camp des haters (N. d. A. : en français dans le texte), où je croupirai avec tous les antisémites déguisés en antisionistes de l’univers, tous les racisthomophobosexistocomplotistes possibles et imaginables jusqu’à ce que ma femme et ma fille me quittent et que je mette fin à mes jours sans la moindre dignité (étouffé dans mon vomi). Que suis-je après tout sinon un pauvre employé aux écritures que personne ne veut plus employer ?

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