Ne nous faut-il pas envier, d’une certaine manière, les gens à certitude (note : comment les appeler, les « certitudineux » ?), ceux pour qui le monde est bien organisé selon des tables de contraires claires et lisibles, et auxquelles on peut se référer sans réfléchir pour appréhender le monde, disent-ils ? Le mal contre le bien, les riches contre les pauvres, le fascisme contre la démocratie, le nationalisme contre la mondialisation, la mondialisation contre les peuples, et ainsi de suite, dérouler la longue liste des contraires qui structurent la pensée depuis que les gens se sont mis en tête de faire profession de penser. Δεξιτεροῖσιν μὲν κούρους, λαιοῖσι δὲ κούρας — à droite les garçons, à gauche les filles, fragmentait déjà Parménide (du moins, est-ce tout ce qu’il nous reste). Manie qu’on doit donc aux Grecs, comme à peu près tout ce qu’il nous arrive, et qui a culminé dans les colonnes de contraires, les συστοιχία pythagoriciennes, enfin, c’est ce que nous dit Aristote. L’univers bien rangé devient simple, c’est-à-dire qu’il peut entrer tout entier dans une tête simple qui, dès lors, saura interpréter tout ce qui arrive au monde. Bienheureux, ceux qui ont des certitudes, car le monde leur semble limpide. Malheur à nous autres, nous qui ne connaissons pas le repos parce que nous ne disposons pas de certitudes suffisamment confortables où nous reposer.
Hier, rentrant d’Aix, extase sur la route. Au volant, en écoutant les concertos brandebourgeois de Bach (version Concerto Italiano de Rinaldo Alessandrini). Extase sensationnelle, dans le corps, qui traverse les oreilles et puis le corps tout entier, manière de spasmes qui l’envahissent totalement. Aura aurale. Rayonnement. Éclair. Éclaircie.
Dirais-tu que la vie, c’est cela ? Oui, c’est une façon de voir les choses. Mais sors du véhicule, regarde où tu te trouves, cette autoroute limitée à 90 km/h, la circulation, les embouteillages qui se forment aux sorties qui conduisent en direction de ces gigantesques zones commerciales toutes de béton et de néon. Demande-toi : Tout n’est-il pas fait pour que ce genre d’expérience — une expérience esthétique — devienne impossible ? Oui, non ? Et pourtant, elle se produit quand même, malgré les conditions de son impossibilité. Je ne cherche pas une définition de l’expérience esthétique — du genre : ce qui se produit malgré les conditions de son impossibilité (même si) —, mais je remarque que celle-ci se produit malgré son impossibilité manifeste. L’impossibilité en question n’est pas une illusion, on ne se trompe pas en faisant le constat que, elle est réelle et, néanmoins, l’expérience a lieu. Pouvoir de la musique — qui va droit au corps.
Coucher de soleil sur la Corniche. Kitsch anéanti par l’orange du soleil qui s’abîme derrière l’horizon.
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